“ KELLIA ALICE BLACKWOOD „

ft. astrid bergès-frisbey

On ne peut pas dire que les cinq premières années de ma vie furent les meilleures. Nous vivions, ma mère Elizabeth et moi-même, dans un pauvre petit appartement en friche. Elle, elle essayait désespérément de nous nourir toutes les deux. Un week-end de temps à autre, un homme venait à l'appartement et ce depuis que je suis toute petite. Il appelait Maman, chérie ou d'autres petits sobriquets amoureux et à chaque fois, lorsqu'il partait, je retrouvais ma mère en pleurs sur le canapé, une enveloppe dans les mains. J'aurais voulu le détester, cet homme qui était mon père, parce qu'il la faisait pleurer, mais elle me disait qu'au contraire, il était la dernière personne que je devais détester. Parfois, lorsque j'étais dans ma chambre, je les entendais tous les deux. Elie, je te promet que je vais arranger la situation, mais tu comprends bien qu'avec les deux gosses ce n'est pas simple. Et puis il a tenu sa promesse. J'avais cinq ans lorsqu'il a débarqué dans le vestibule, des valises à la main et j'ai compris que cette fois-ci, le week-end s'éterniserait. Tout c'est passé très vite par la suite, nous avons déménagé dans une vraie grande maison, avec un jardin et tout ça. Il avait divorcé, laissé son ex-femme seule avec ses deux autres enfants, ils s'appelaient Cash & Shea, il me les avait montré en photo et même si je ne les avais jamais vu en vrai, je ne pouvais m'empêcher de me sentir coupable, coupable de leur voler leur père. A partir de notre déménagement, tout fut beaucoup plus simple, beaucoup mieux, maman ne pleurait plus, je mangeais autre chose que des pates et du riz, je pouvais à présent jouer avec la Poupée dont j'avais si souvent rêvé. Enfin, je vous laisse, vous aurez la suite demain, je dois aller à l'école.
journal de Kellia, 2.05.2000

Je suis née voleuse, je suis née en faisant souffrir, c'est comme cela, c'est dans mes veines. Il m'appelait sa petite poupée, lui, cet homme qui avait mis ma mère en cloque, cet homme qui venait un week-end de temps à autre nous rendre visite, lui donner de l'argent pour l'aider à m'élever. Il était toujours porteur de promesses en l'air, il promettait qu'il reviendrait et que cette fois ce serait pour de bon, et le week-end suivant il nous quittait à nouveau. Il disait que j'avais les trains fins, bien dessinés, et que j'étais comme une petite poupée de porcelaine. Poupée de porcelaine, prête à se casser au moindre coup. Des coups, elle en a prit la poupée, pas des coups physiques mais des coups mentaux, alors elle a commencé à se fendre, à se briser petit à petit et elle a été obligée de porter un masque, de se cacher derrière, de faire semblant. Comme tout le monde, elle a été obligée de se défendre de faux sourires, elle a dû faire semblant d'aller bien, elle a dû continuer à rire. Cinq ans après mon premier cri, il est venu, il avait des valises dans chaque main. Ce jour-là, j'ai compris que le week-end s'éterniserait. La poupée a alors retrouvé quelques couleurs, à présent sa mère ne pleurant plus, elle n'avait plus de soucie à se faire pour elle. Trois ans plus tard, ceux à qui j'avais volé le père vinrent habiter avec nous, il s'appelait Cash, et elle Shea. Autant elle était gentille avec moi, autant lui ne voulait pas avoir à faire avec celle qui lui avait volé sa part de bonheur alors qu'il était encore jeune. Elle, elle me raconta comment leur mère, brisée, avait sombré chaque jour, de plus en plus et la poupée se mit à comprendre combien l'amour pouvait causer de désastre. L'amour, cette chose qui avait entraîné sa naissance, cette chose qui avait construit le bonheur de sa mère sur le malheur d'une autre, cette chose qui semblait pourtant si simple dans les films et les dessins animés qu'elle regardait, pelotonnée dans les bras de sa soeur. [color=indianred]Mamaaaan, il a cassé ma poupée ! |/color] On ne pouvait pas vraiment lui en vouloir au gamin, il fallait le comprendre. Elle avait rendu son bonheur famillial impossible, suite à sa venue sa mère était décédée, alors il fallait qu'il lui fasse payer, un peu, beaucoup. Pourtant elle avait tout essayé, elle avait essayé d'être gentille avec, rien y faisait. Et puis il y a eu ce voyage aux Bahamas, pour se détendre un peu, pour oublier quelques temps la ville et cette fille, Danaé, cette fille qui rendait complètement dingue Cash, je n'étais pas dupe, je le voyais bien, alors je l'ai poussé, à aller la voir, à aller lui parler. Au final, j'aurais mieux fait de me taire car ça l'a totalement brisé. La poupée fragile, cette fois, c'était lui, et il venait de se casser. Après être retourné à Manchester, il lui avait envoyé des lettres, mais jamais elle ne lui en avait écrit en retour, il la crut morte, et je me sentais à nouveau coupable de sa tristesse. Je n'étais décidément pas bien douée pour rendre heureux les gens et surtout, l'amour me montrait une fois de plus qu'il n'était qu'un joli mot que l'on faisait réciter aux enfants mais qui ne prenait jamais vraiment son sens qu'après s'être rendu compte qu'on l'avait perdu. Je décidais alors de ne jamais tomber amoureuse. Malgré cela, Cash et moi-même devinrent proches, beaucoup plus qu'avant, j'avais enfin une soeur et un frère, un frère que je me mettais alors à imiter, un frère qui devenait pour moi un modèle. Cash virant au "je suis un salaud", je me mettais à faire de même. Pour la première fois, je touchais aux paradis artificiels, ceux-là même qui avaient été si présents dans la vie de Baudelaire. Je sortais et je couchais avec n'importe qui, n'importe où. La poupée a aujourd'hui bien grandie, et même si derrière son masque elle est toujours cet enfant fragile, elle ne se montre jamais comme telle, devant une de ses filles qui ne tourneront sûrement jamais bien, et qui dans leurs actes insensés et immoraux ne font en réalité que lancer un inséssant appel à l'aide.

Parler de soi n'est sûrement pas la chose la plus simple, mais bon. Tout d'abord, je m'appelle Pauline, j'ai presque 17 ans (au mois de juillet, donc vraiment presque) et je vis en France dans un coin qui pourrait vous paraître être la campagne profonde si vous êtes parisiens ou quoi. J'aime beaucoup la mode, la musique (je joue d'ailleurs de la guitare) et j'adore lire (même si j'ai horreur des livres qu'ils nous font lire au lycée). Sinon, n'ayez pas peur, je peux paraître fofolle des fois mais il n'en est rien.